La réforme de l'AAH

Publié le par Franck

[Par Franck]

J'ai eu entre les mains, ces jours-ci,  un dépliant (4 pages polychromes) pour information sur la future réforme de l'AAH (Allocation pour les Adultes Handicapés), dont le texte doit être soumis au Parlement dans le cadre de la Loi de Finances 2009. En voici le texte in extenso :


« Lettre de Valérie Létard (Secrétaire d'Etat chargée de la solidarité) :

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

Vous allez percevoir une revalorisation de l'Allocation aux adultes handicapés (AAH) et je souhaiterais saisir l'occasion de ce moment important pour vous informer des projets du gouvernement en faveur des personnes handicapées.

Le projet le plus important vise à réformer l'AAH en profondeur. Cette réforme pourra mieux vous accompagner dans votre projet de vie. L'augmentation de l'AAH est une première étape.

Après une progression de 5% cette année, notre objectif est d'atteindre une augmentation de 25% d'ici 2012, soit un montant de 150 euros par mois [Quelle générosité ! 150 Euros sur 5 ans. Comme ça on pourra sortir les handicapés du listing des persones qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté (Remarque de Franck)]. Cet effort national va représenter un engagement budgétaire sans précédent de 1,4 milliards d'euros. Il exprime la volonté du Président de la République de faire de la politique du handicap un chantier prioritaire.

Cette revalorisation va donc s'accompagner d'une profonde réforme de l'AAH qui vise à mieux orienter les personnes handicapées qui le peuvent vers l'emploi, en valorisant leur dynamique d'insertion et en responsabilisant l'ensemble des acteurs, allocataires, ANPE, entreprises etc...

Mais plus généralement, nous voulons mettre en œuvre avec Xavier Bertrand, des mesures destinées à améliorer la compensation, l'accessibilité, l'accueil en établissement, la scolarisation... Ces mesures, annoncées le 10 juin dernier lors de la Conférence Nationale du Handicap (CNH), tendent vers un même objectif : vous permettre d'exercer votre citoyenneté de façon pleine et entière. Enfin, cet automne, le Parlement examinera le rapport issu de la CNH. Pour ce rendez-vous, comme pour les autres, notre ambition reste la même : concrétiser l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, conformément à la loi de 2005. »

Suit une description de la situation actuelle et des futures mesures :

« Aujourd'hui, 810 000 personnes handicapées perçoivent l'AAH. Elles se répartissent entre celles qui ont un taux d'incapacité supérieur ou inférieur à 80%. 8% d'entre elles cumulent un salaire et une allocation. Pour autant, les allocataires ne bénéficient pas d'un accompagnement suffisant pour bâtir et réaliser leur projet professionnel. Ce constat justifie le projet de réforme en profondeur de l'AAH.

Demain, à l'issue de la réforme, les personnes qui demandent l'AAH continueront à obtenir cette allocation en fonction de leur taux d'incapacité, mais elles seront distinguées en fonction de leur possibilité d'accéder à l'emploi. Ainsi, les personnes pouvant accéder à l'emploi ordinaire et/ou adapté bénéficieront d'un accompagnement spécifique. Quant à celles qui ne peuvent pas durablement accéder à l'emploi, elles seront prioritaires pour percevoir un complément d'allocations leur permettant de vivre dignement dans la société. »

Suit enfin un descriptif du projet de réforme :

«  La réforme de l'AAH se fonde sur la capacité d'insertion des personnes handicapées.

Accéder à l'emploi représente pour les personnes handicapées qui le peuvent, un accomplissement personnel, professionnel et une reconnaissance sociale [Je ne suis pas certain qu'accéder à un emploi soit l'objectif premier de toutes les personnes handicapées. Ils souhaitent avant tout de meilleurs traitements : plus accessibles, plus efficaces. Et avoir de quoi vivre décemment. Quand on voit la politique des salaires en France, on est en droit de se poser des questions. De plus qui a dit qu'un travail oppressant et source de stress soit la chose la plus socialisante ou épanouissante, surtout pour des personnes déjà fragilisées physiquement et parfois psychiquement ? (Remarque de Franck)].

Aujourd'hui l'AAH se fonde sur l'idée tacite selon laquelle ses bénéficiaires ne peuvent pas accéder à l'emploi.

Avec la réforme engagée, la personne bénéficiaire de l'AAH pourra, si son handicap le lui permet, être accompagnée personnellement vers le chemin de l'emploi. Elle bénéficiera d'un nouvel outil permettant de mesurer ses possibilités d'accéder à l'emploi. Cet outil, en cours d'élaboration, fera l'objet d'une concertation avant d'être mis en œuvre.

Quant aux personnes handicapées ne pouvant pas accéder à l'emploi, elles seront prioritaires pour bénéficier d'un complément de ressource.

La réforme de l'AAH invente un véritable parcours pour l'emploi au service des personnes handicapées.

Aujourd'hui, dans certains cas, une personne handicapée qui perd son emploi doit attendre un an pour percevoir l'AAH. A partir du 1er janvier 2009, elle pourra percevoir l'AAH dès le premier jour d'inactivité [Abolition d'une disposition prise par Jospin (Note de Franck)].

Un bilan professionnel sera systématiquement réalisé pour toute demande d'AAH. Ce bilan sera réalisé par les Maisons Départementales pour les Personnes Handicapées (MDPH) avec l'aide de l'ANPE, des Cap Emploi et de l'Association Nationale pour la Formation Professionnelle des Adultes (AFPA).

A l'issue de ce bilan, l'allocataire en capacité de travailler se verra automatiquement accorder la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé [Quelle nouveauté ! Actuellement quand un handicapé le demande, ce statut lui est automatiquement délivré dès que le handicap est constaté. De plus, ce statut ne prémunit en aucune manière contre les licenciements (Remarque de Franck)].

Les MDPH pourront, si nécessaire, demander à l'Association de Gestion des Fonds pour l'Insertion Professionnelle des Handicapés (AGEFIPH) des bilans de compétence approfondis de 40 heures, dont une partie pourra se faire sur le lieu de travail.

L'allocataire pourra également suivre un parcours d'insertion professionnelle grâce à un contrat d'insertion et d'accompagnement vers l'emploi. Ce parcours d'insertion sera coordonné par un référent unique de l'ANPE ou des Cap Emploi (formation, accompagnement vers l'emploi ou stage...)

Appliquer à l'AAH la logique du RSA

Pour que l'accès à l'emploi soit toujours un plus et pas un moins, les personnes handicapées qui travaillent bénéficieront d'un intéressement simple et incitatif : pendant 6 mois, elles bénéficieront d'un cumul intégral de leur salaire et de l'AAH. Au-delà de cette période, elles continueront à percevoir en plus de leur salaire une partie de l'AAH qui sera d'autant plus forte que le salaire est modeste [Quelle générosité ! Se posera-t-on un jour la question d'augmenter les minima sociaux ainsi que les bas salaires pour rendre la vie plus décente aux plus démunis ? (Note de Franck)]

La réforme de l'AAH s'accompagne aussi de mesures qui bénéficient à toutes les personnes handicapées.

La CNH a été l'occasion de préciser les perspectives d'amélioration de la Prestation de Compensation du Handicap (PCH) :

extension de la PCH aux aides ménagères après concertation avec les associations et les Conseils Généraux,

-   ouverture complète de la PCH aux enfants,

-   amélioration de la prise en charge des frais de transport des personnes handicapées accueillies en établissements,

-   amélioration de la prise en charge des fauteuils roulants,

Plus de 50 000 nouvelles places en établissements et services seront créées. Cela représente un engagement financier d'1,5 milliards d'euros sur 5 ans :

-   12 000 places pour l'accueil des enfants,

-   38 000 places pour l'accueil des adultes.

Ces places seront particulièrement dédiées aux personnes souffrant de troubles envahissants du développement ou d'autisme, de polyhandicap, d'un handicap psychique et aux victimes d'un traumatisme crânien.

La qualité du service rendu aux personnes handicapées et à leur famille sera améliorée :

-   simplification des procédures et du traitement des dossiers (formulaires, décisions de renouvellement...)

-   amélioration de la formation des personnels en MDPH

Pour un accès de tous à tous les aspects de la vie quotidienne

Avec la loi du 11 février 2005, la France s'est dotée d'un véritable projet de société de manière à ce que d'ici 2015, les personnes handicapées puissent accéder à l'ensemble des commodités de la vie quotidienne. Cela concerne tous les handicaps et toutes les infrastructures : transport, emploi, éducation, logement, culture, loisirs... Cet objectif a été au centre des mesures annoncées lors de la CNH.

Accès à l'enseignement :

1. libre choix du mode de communication des enfants sourds pendant leur scolarité,

2. création de 250 UPI (unités pédagogiques d'intégration) supplémentaires en 2008. L'objectif est d'atteindre d'ici 2010, 2 000 UPI de plus,

3. un numéro de téléphone : 0810 55 55 00 « aide handicap école » pour mieux informer les familles sur leurs droits en matière de scolarisation,

4. création par l'Education Nationale de 2 000 postes supplémentaires d'Auxiliaires de vie scolaire (AVS) pour la rentrée 2008. [Vu les sempiternelles suppressions de postes, cela m'étonnerait que cet objectif soit respecté (Remarque de Franck)].

-   Accès à la Culture :

1.       Le sous-titrage sera rendu obligatoire sur tous les postes de télévision placés dans les lieux publics (aéroports, cafés, hôtels, hôpitaux...), [Super! Un peu plus de cerveaux disponibles pour Coca-Cola! (Note de Franck)]

2.       la technique de l'audiodescription devra être largement développée par les principales chaînes de télévision.

-   Accès au marché de l'emploi :

En complément des mesures en direction des personnes handicapées elles-mêmes, le gouvernement a lancé un Pacte National pour l'Emploi s'adressant aux entreprises et aux structures de formation et d'orientation professionnelles. Ce pacte veut :

1.       alléger les procédures qui déclenchent les aides pour les entreprises recrutant une personne handicapée (aménagement des postes de travail, aide humaine, formation),

2.       inciter l'entreprise à recruter tout au long de l'année. Aujourd'hui elle est pénalisée si elle recrute après le 30 juin de chaque année,

3.       l'AGEFIPH rencontrera chacune des 27 000 entreprises qui n'emploient aucune personne handicapée pour les encourager à faire au moins un recrutement,

4.       lancer en 2009, le premier centre relais téléphonique pour ouvrir le marché de l'emploi aux sourds et malentendants,

5.       autoriser l'AGEFIPH et le FIPHFP (Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique) à financer les travaux d'accessibilité pour les entreprises qui s'engagent dans un plan pluriannuel de recrutement,

6.       mettre en valeur les initiatives des collectivités publiques et des entreprises avec la parution d'un guide de l'accessibilité et par la création des Trophées de l'accessibilité qui récompenseront les initiatives innovantes,

7.       autoriser toute personne handicapée à l'apprentissage à n'importe quel moment de sa vie grâce à la suppression de la limite d'âge de 30 ans. »

Fin du topo !

On peut donc remarquer à travers cette « réforme » :

-   l'application de la logique STO-ïsante du RSA. N'oublions pas que dans le RSA, le principe de l'Offre Raisonnable d'Emploi s'applique. Nul ne pourra refuser plus de deux « offres raisonnables » sous-peine de suppression des allocations. Feront-ils de même avec les handicapés ?

-   Aucune mesure ne contraint les entreprises à embaucher des personnes handicapées : on en reste à la politique de l'incitation, dont on a vu la grande efficacité.

-   Rien sur l'insertion dans la catégorie des maladies invalidantes permettant l'accès à l'AAH de certaines maladies orphelines non reconnues, parce que rares, par la CPAM. Faudra-t-il donc que ces malades soient mourants pour qu'on les considère comme des vrais malades ?

-   Rien non plus sur la révision des actuels critères aberrants d'accès à l'AAH concernant certaines pathologies telles que le sida (charge virale + taux de T4). Actuellement, du fait de refus d'accès à l'AAH, beaucoup de patients souffrant de cette maladie sont condamnés à la double peine : maladie + précarisation puisqu'on les abandonne au RMI-RSA (source Act-Up). Selon Act-Up, 50% des malades atteints par le HIV vivent en dessous du seuil de pauvreté et 22% n'ont pas de logement personnel.

-   Rien non plus sur un meilleur accès aux logements sociaux ou aux logements thérapeutiques (l'internement dans des établissements spécialisés est-il la meilleure solution ?)

-   Rien non plus sur les franchises médicales : a priori les handicapés y seront toujours astreints.

-   Toujours l'optique de « l'aide par le travail » (ça me rappelle la vieille obsession vichyste du  « Arbeit macht frei »). Le travail serait vu comme la meilleure façon de s'intégrer dans la société. Quand on connaît l'accroissement de la pénibilité des conditions de travail, quand on connaît la fragilité physique, psychique des personnes handicapées, on se pose des questions quant à la validité de telles politiques.

-   Puisque l'employabilité des handicapés est la principale « philosophie » de ces mesures, pourquoi ne pas avoir pris des mesures pour développer et contrôler le télétravail, qui satisferait bon nombre d'handicapés  ? C'est vrai qu'il vaut mieux qu'un travailleur soit visible par son employeur. Ainsi ce dernier pourra mieux le surveiller et l'opprimer, voire le harceler.

-   Les fauteuils roulants seront donc mieux pris en charge. Pourquoi pas à 100% directement et pour toutes les personnes concernées ? 

-   L'augmentation de l'AAH d'environ 150 euros (25%) sur 5 ans ! Quelle générosité ! Cela la porterait précisément de 621,27 euros (2007 avant l'élection de Sarkozy) à 776,59 euros en... 2013! Même avec cette « substantielle » augmentation, l'AAH seule n'arriverait même pas au niveau du seuil de pauvreté (pour une personne seule sans enfant, actuellement : 817€, source RSA).

-   Aucune réglementation contre la surexploitation et les conditions de travail des handicapés dans les ateliers protégés par exemple.

-   Vu les budgets alloués à l'ANPE, aux « Cap Emploi », et à tous les organismes de formation (AFPA comprise), et surtout leur non-augmentation (le budget de l'Etat est en passe d'être réduit à la baisse), je doute fort que « la volonté du Président de la République de faire de la politique du handicap un chantier prioritaire » ne reste lettre morte, d'autant plus avec la crise financière actuelle et la récession, qui s'ajoutent à l'inefficacité des institutions précédemment citées.

-   Aucune amélioration sur la durée du traitement d'un dossier d'AAH, ni sur la durée du droit à la prestation AAH n'est envisagée : « Selon les MDPH, ce délai est de 4 à 8 mois. De surcroît, la durée pour laquelle l'AAH est accordée est trop courte. L'AAH peut être légalement accordée pour 5 ans. Pourtant aujourd'hui, elle est plus fréquemment accordée pour un an seulement, alors que dans certains cas, aucune amélioration de l'état de la personne bénéficiaire n'est prévisible dans ce délai. » (Source Act-Up, Action n° 112, avril 2008)

- Il est intéressant de constater que cette réforme a été inscrite dans la Loi de Finances 2009 (tout comme la disposition permettant de travailler "sous la forme du volontariat" jusqu'à... 70 ans) et non dans un projet législatif propre. De cette manière, le gouvernement évite de se confronter directement avec le peuple, en noyant son projet de loi sous les dispositions complexes du Budget de l'Etat, pour pouvoir faire passer "en douce" les mesures les plus réactionnaires et les plus anti-sociales.

En conclusion, cette réforme risque encore de réduire l'accès à l'AAH, accès déjà restreint par la réforme de 2005 (qui avait remplacé l'ancienne COTOREP par les Maisons Départementales pour les Personnes  Handicapées). De plus, elle stigmatise les handicapés en incapacité de travail, en les distingant des bons handicapés « bankables ».

Aucune véritable augmentation (à part l'aumône des 5% par an précédemment évoquée), pourtant ardemment désirée et réclamée par les associations d'handicapés,  de l'allocation, qui permettrait de vivre décemment (par exemple en la portant au niveau du SMIC) n'a été évoquée. Qui peut vivre aujourd'hui avec 652,60  euros par mois ?

L'abandon de la disposition scandaleuse, suspendant le versement de l'AAH aux handicapés en cas d'hospitalisation longue (plus de 60 jours), mais qui toutefois les oblige  à payer le forfait hospitalier (plus de 60 jours = 60 fois 16€, soit donc au minimum 960 euros!), n'a même pas été envisagée.

Les handicapés vont encore, et pour longtemps, être les victimes de l'inertie des politiques, des patrons surexploiteurs et du regard méprisant des gouvernements.

Publié dans Santé

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